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05/03/2017

Pierre Gauthier-Lafaye

Pierre Gauthier-Lafaye

Pierre Diemunsch ,André Muller  

http://dx.doi.org/10.1016/j.anrea.2017.01.004

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Le professeur Pierre Gauthier-Lafaye aimait dire qu’il était gascon. Plus encore qu’aux lieux, c’est à sa famille périgourdine qu’il était profondément attaché et ces liens très solides tissés à la faveur d’une enfance heureuse ont certainement contribué à forger chez l’homme un caractère simple, direct et loyal.

En 1941, il fut admis au concours de l’école du service de santé militaire, l’ESSM de Lyon qui se trouvait encore en zone libre. Il devint Santar et Lyon fut très vite occupé.

À la fin de sa troisième année de médecine, Pierre Gauthier-Lafaye rejoignit la Croix Rouge et le train Cipeg, un autorail aménagé en unité opératoire envoyé vers les villes bombardées pour participer à la prise en charge des blessés. Cette organisation qui visait à amener l’hôpital vers le patient plutôt que le patient dans l’hôpital préfigurait l’organisation des secours en Alsace par le professeur Gauthier-Lafaye qui y fonda le Samu de nombreuses années plus tard.

Au décours d’une mission sanitaire ferroviaire, il fut blessé et à la faveur de son hospitalisation rejoignit le maquis de Verpillières. Après la libération, un corps expéditionnaire pour l’Extrême-Orient demandait des volontaires. Pierre Gauthier-Lafaye signa et embarqua pour Saïgon.

Il rencontra une jeune femme officier également volontaire pour l’Indochine, la lieutenant Doris Leigh qui deviendra sa femme et lui donnera six garçons.

Le mariage eut lieu le 11 décembre 1945 à Saigon et deux jours plus tard, il fut retransféré à l’école du service de santé militaire de Lyon pour y achever ses études.

En 1947, Pierre Gauthier-Lafaye devint docteur et médecin lieutenant.

Il s’inscrit au diplôme d’anesthésiste qui venait d’être créé à Paris, poursuivit sa formation à l’hôpital Tenon et fut le premier médecin militaire à embrasser cette spécialité.

En 1951, il obtint une bourse Fulbright pour passer un an au Massachusetts General Hospital de Boston dépendant de l’université de Harvard, dans le service du professeur Beecher. Un alsacien avait suivi le même parcours. Il s’agissait de René Kieny, que Pierre Gauthier-Lafaye retrouvera quelques années plus tard à Strasbourg.

Cette année à Boston fut l’élément fondateur de la carrière d’anesthésiste de Pierre Gauthier-Lafaye. Dans cette équipe œuvraient, soit de façon permanente ou temporaire, les meilleurs médecins et les têtes pensantes de la spécialité, venues du monde entier. Il fut ainsi donné à Pierre Gauthier-Lafaye d’échanger directement avec Nicolas Green qui avait établi les fondements de la rachianesthésie moderne, mais également avec des chirurgiens extraordinaires parmi lequel Crawford qui devint plus tard patron au Baylor College of Medicine et Michael E. DeBakey.

Pierre Gauthier-Lafaye développa à la faveur de ce séjour nord-américain un carnet d’adresses d’une puissante efficacité. Généreux et altruiste, il en fit tout au long de sa carrière profiter ses élèves en leur offrant des points de chute à l’étranger, où l’accueil était à la mesure de l’excellent souvenir qu’il laissa derrière lui.

Trente ans plus tard, au cours des anesthésies que je donnais à un patient du professeur Crawford à Houston, ce dernier apprenant que je venais de France me parla immédiatement de Gauthier-Lafaye, de son acharnement au travail, mais aussi du bal masqué des Fellows du Massachusetts General Hospital auquel Pierre Gauthier-Lafaye était venu en grand costume de la French Foreign Legion qui laissa à tous une impression mémorable.

De retour en France, Pierre Gauthier-Lafaye fut affecté à l’hôpital Marie-Lannelongue. Il devint secrétaire général puis président de la Société savante d’anesthésie d’alors. En collaboration avec le professeur Monod, il publia son premier ouvrage consacré à l’anesthésie en chirurgie thoracique en 1955.

L’armée dépêcha le capitaine Gauthier-Lafaye au sein des forces françaises en Allemagne, à Baden-Baden pour créer les services d’anesthésie des huit hôpitaux des FFA, c’est-à-dire Baden-Baden à Landau, Tübingen, Donaueschingen, Trèves, Coblence, Fribourg et Berlin.

Au bout de quelques mois, il rentre en contact avec le professeur Fontaine de Strasbourg qui était l’élève de Leriche. Doyen de la faculté de médecine, et lui demanda de venir à Strasbourg pour y organiser l’anesthésie et le chargea de cours dans cette spécialité.

Le site de Baden-Baden fut transféré à Buhl où un tout nouvel hôpital de 250 lits fut créé. Pierre Gauthier-Lafaye participa à sa conception qui fut dès 1957 doté d’un héliport, ce qui était tout à fait exceptionnel à l’époque. De la même manière le service d’anesthésie fut le plus avancé de France avec des salles d’induction, la première salle de réveil et un service de soins intensifs intégré dans le service d’anesthésie. À cette époque, avec René Kieny, il participa, pour la partie anesthésie expérimentale, au projet strasbourgeois d’un oxygénateur extracorporel.

Ses remarquables qualités d’organisateur le firent nommer en tant qu’officier de liaison du service de santé auprès de l’état-major en Allemagne. Cette position lui permit de connaître en profondeur les problèmes logistiques de l’afflux de blessés en grand nombre, expérience très utilement mise à profit lors de la création du Samu de Strasbourg.

En 1958, le professeur Fontaine, lui transmet une demande du doyen de la faculté de médecine de Recife au Brésil qui sollicitait de la France le détachement d’un médecin anesthésiste-réanimateur pour créer un institut d’anesthésie. Le 1er octobre 1958 il quitta simultanément la France pour le Brésil et l’administration militaire pour celle des affaires étrangères. Nommé professeur à la faculté de Recife.

La création de l’institut d’anesthésie de l’université de Recife prit 3 ans et demi, au bout desquels la ville se trouva dotée d’un service d’anesthésie efficace et d’une équipe universitaire solide. Indépendamment de ce véritable coup de maître technique et scientifique, ce fut pour le professeur Gauthier-Lafaye, une formidable expérience humaine. Une fois de plus, il avait démontré sa capacité d’adaptation, d’exceptionnelles aptitudes à saisir les opportunités de la vie et beaucoup d’altruisme. Là où des esprits moins ouverts s’interdisent toute prise de risque, il avait montré toute l’efficacité et toute l’intelligence, toute la créativité de son engagement. Il réitèrera cette démonstration lors de son retour en France.

À son retour du Brésil, le médecin commandant Pierre Gauthier-Lafaye est affecté à l’hôpital Bégin. Il prend une disponibilité qui lui servira à préparer l’agrégation qu’il obtint en 1965, et vient s’installer à Strasbourg pour créer le département d’anesthésie.

Les débuts ne furent pas flamboyants puisque son premier bureau fut tout simplement sa voiture garée sur le parking de la Chir A, avant que le professeur Kieny, ne lui prête un local dans les caves de ce bâtiment où il avait lui-même un petit bureau.

Très vite, le docteur Otteni, chef de clinique, qui avait obtenu une formation parisienne en anesthésie, devint son bras droit. Le département comportait initialement trois médecins, le professeur Gauthier-Lafaye, le docteur Otteni et le docteur Muhlmann-Weil. Un lustre important fut apporté à la spécialité lorsque le docteur Haberer et le docteur Dupeyron, respectivement major et vice-major de l’internat, vinrent rejoindre le département.

En 1970, Strasbourg obtint une chaire d’anesthésiologie, la quatrième de France après Montpellier, Paris et Toulouse. Très vite, de nombreuses inscriptions au certificat d’étude spéciale furent enregistrées ainsi que la venue de spécialistes déjà confirmés de l’école de Recife pour lesquels le professeur Gauthier-Lafaye avait obtenu des postes d’assistants étrangers.

Les étapes marquantes suivantes furent :

en 1968 la création de l’école d’infirmiers anesthésistes diplômés d’État dont les diplômés ont essaimé dans toute la France ;

en 1971 par la création du Samu, et la mise en fonction d’un hélicoptère médicalisé au service de la population d’Alsace-Lorraine et des régions frontalières allemandes ;

en 1975, le docteur André Muller, le docteur Benoît Laugner et le docteur Farcot purent fonder la clinique de la douleur de Strasbourg. Cette unité du département d’anesthésie-réanimation connut un succès très important et André Muller fut nommé professeur de thérapeutique.

 

L’importante activité de publications scientifiques nécessita l’ouverture d’un atelier d’illustrations médicales dirigé par le docteur Julie Farny. Indépendamment de la production des planches anatomiques d’une qualité exceptionnelle, destinées au Traité d’Anesthésie Loco-Régionale du professeur Gauthier-Lafaye, le docteur Farny développa également le secteur de l’anesthésie expérimentale et de l’anesthésie vétérinaire. Quant au Traité d’Anesthésie Loco-Régionale, il fut traduit dans de nombreuses langues et demeure un ouvrage de référence en la matière, qui existe dans toutes les bibliothèques d’anesthésie francophones.

 

Le professeur Gauthier-Lafaye porta une attention particulière à maintenir les collaborations internationales avec les meilleures équipes. En particulier, celle de l’universitaire de Montréal, puis celle du professeur Alex Straja et du professeur Dean Morrow de Houston au Texas et du professeur Michael Finster de New York.

De nombreux strasbourgeois eurent ainsi l’opportunité de passer une année outre-atlantique pour optimiser leur formation et acquérir en plus du socle de l’enseignement français cette touche américaine de rigueur et d’ouverture dans le travail.

Parmi cette dizaine de chanceux, le docteur Thierry Pottecher passa une année à Montréal, année durant laquelle sa femme donna naissance à leur fils Julien devenu aujourd’hui notre collègue, le professeur Pottecher.

Le docteur Catherine Lehmann, qui exerce avec le bonheur que l’on connaît l’anesthésie en chirurgie hépatique, a suivi la même voie.

Les échanges s’orientèrent ensuite vers le Baylor College of Medicine de Houston au Texas où je fus le premier à passer une année dans le service du professeur DeBakey.

L’enseignement de l’anesthésie qu’il mit en place à Strasbourg par le professeur Gauthier-Lafaye, directement inspiré de celui de Boston, impliquait un contrôle trimestriel des acquis et bien avant l’heure, des réunions dites de complications préfigurant les actuelles RMM. Il instaura l’édition et la mise à jour constante des conduites à tenir qui donnèrent en 1989 un précis d’anesthésie. Aux 14 livres qu’il édita, il rajouta une autobiographie dont je viens de vous livrer quelques bribes.

L’exemple d’un tel homme ne pouvait manquer de susciter l’admiration et des vocations. Parmi les nombreux professeurs d’anesthésie issus de l’école de Strasbourg, j’aimerai citer en particulier Jean-Pierre Haberer, Mme Krivosic-Horber, Pierre Schoeffler, Jean-Pierre Dupeyron, Thierry Pottecher, Jean-Claude Otteni, André Muller, Annick Steib.

En 1982, le professeur Gauthier-Lafaye prit sa retraite. Il rejoignit Biarritz où il fut adjoint délégué au maire. Après cette période il se retira à Bayonne et nous quitta le 10 mars 2016 dans sa 95e année.

Sa perte nous prive d’un homme, au trajet fascinant et nous laisse le très exigent modèle d’un grand patron qui sut créer de toutes pièces et à de nombreuses reprises, des structures efficaces pour les patients et épanouissantes pour ses collaborateurs.

Nous garderons pour sa bienveillance et son humanité une reconnaissance indéfectible

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