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22/09/2013

Rhabdomyolyse – Crush syndrome

Rhabdomyolyse – Crush syndrome

 Mis en ligne le 22 Juillet 2013                                                                                                                       Imprimer cette page

Dr Ségolène MROZEK, Pr Thomas GEERAERTS

Pôle Anesthésie-Réanimation, CHU de Toulouse

geeraerts.t@chu-toulouse.fr

Question 1

La valeur de créatinine phosphokinase (CPK) prédit-elle le développement d’une insuffisance rénale aigue lors d’une rhabdomyolyse ?

La nécrose musculaire conduit à la libération du contenu cellulaire et notamment des enzymes impliquées dans le fonctionnement musculaires comme la créatinine phosphokinase (CPK). La rhabdomyolyse est définie par une élévation de la concentration plasmatique des CPK à plus de 5 fois la normale (soit environ 1000 UI/L) dont le pic est tardif (24 à 36 heures) [1]. La demi-vie plasmatique des CPK chez les patients présentant une rhabdomyolyse est de l’ordre de 42 heures [2].

Brown et al. ont relevé, parmi 2083 patients traumatisés, une rhabdomyolyse dans 85% des cas. Dix pour cent des patients développaient une insuffisance rénale aiguë (créatinine > 2 mg/dl) et 5 % nécessitaient le recours à la dialyse. Une concentration plasmatique de CPK > 5 000 UI/L était un facteur de risque indépendant d’insuffisance rénale aigue (IRA) [3]. Ce seuil de 5 000 UI/L est confirmé la même année par une autre équipe chez 148 patients [4]. Un modèle prédisant la survenue d’insuffisance rénale aiguë (IRA) lors d’une rhabdomyolyse développé par Ward et al. en 1988 avait par ailleurs retenu : les valeurs plasmatiques de CPK, du potassium, du phosphore, de l’albumine, la présence d’une déshydratation à la prise en charge du patient et la survenue d’un sepsis pendant le séjour [5]. Plus récemment, El-Abdellati et al. [6] rapportent chez 342 patients présentant une rhabdomyolyse à l’admission en réanimation, une association entre la valeur des CPK plasmatiques (surtout pour CPK> 5 000 UI/L), et la sévérité des défaillances d’organe (score SOFA), la survenue d’une IRA (risque x5) ainsi que le pronostic. Les auteurs soulignent lors de leur analyse par régression logistique que même des valeurs de CPK > 1000 UI/L étaient associées à une augmentation significative du risque de développement d’IRA (augmentation du risque par 3). En accord avec ces données, les sociétés savantes recommandent une surveillance accrue de la fonction rénale chez les patients présentant un taux de créatinine > 150 μmol/L et/ou des CPK > 5000 UI/L devant le risque accru d’IRA [7].

Des études récentes suggèrent que la myoglobine plasmatique et urinaire serait un meilleur marqueur prédictif d’IRA lors de rhabdomyolyse compte tenu de sa cinétique plus précoce [6, 8].

Question 2

Doit-on administrer des solutés contenant des bicarbonates lors d’une rhabdomyolyse ?

Le pH urinaire influence la précipitation de la myoglobine dans les tubules rénaux et est donc l’un des principaux déterminant de survenue d’insuffisance rénale aiguë [9]. Soixante-treize pourcents de la myoglobine urinaire précipitent si le pH urinaire est inférieur à 5. A l’opposé, seul 4 % de la myoglobine précipite à pH 6,5 [10]. L’alcalinisation des urines et l’obtention d’une diurèse importante (effet de lavage et de dilution tubulaire de la myoglobine) sont donc primordiaux jusqu’à la disparition de la myoglobinurie (soit habituellement en 72 heures).

La volémie plasmatique influence le pH urinaire. Si on se réfère aux phénomènes d’acidurie engendrés par l’hyperaldostéronisme secondaire dû à l’hypovolémie, l’expansion volémique à elle seule pourrait suffire à atteindre les objectifs de diurèse et d’alcalinisation des urines [11, 12]. Un remplissage vasculaire « optimal » pourrait alors être guidé par l’évolution du pH urinaire et de la diurèse. Un objectif thérapeutique raisonnable pourrait être l’obtention d’un pH urinaire supérieur ou égal à 6,5 à la bandelette urinaire.

Cependant, certains auteurs recommandent la perfusion de bicarbonates afin d’alcaliniser les urines en complément du remplissage vasculaire [13,14]. La perfusion de bicarbonates entraîne une augmentation du pH sanguin suivie, en l’absence d’hypovolémie, d’une augmentation du pH urinaire. L’alcalose ainsi créée peut toutefois contribuer à la précipitation du calcium dans les tissus mous et aggraver l’hypocalcémie existante. Dans cette situation rare (pH sang > 7,5), l’administration d’acétazolamide (Diamox®) permettrait de limiter ces dépôts phosphocalciques [11]. La littérature n’a pas montré de réel bénéfice à l’administration de bicarbonates de sodium comparé aux cristalloïdes dans la fréquence de survenue d’IRA ou le recours à la dialyse lors de rhabdomyolyse [3,7]. Néanmoins, l’administration massive de sérum salé isotonique peut contribuer à une acidose métabolique hyperchlorémique. Ainsi, certaines équipes ont montré que le maintien d’un pH urinaire > 6,5 uniquement avec un remplissage par sérum salé isotonique était difficile à obtenir [15, 16]. Malgré une littérature controversée, l’administration combinée de bicarbonates de sodium et de sérum salé isotonique est utilisée par certains après la restauration initiale de la volémie lorsque le pH urinaire reste inférieur à 6,5 [17]. Ceci suppose de surveiller le pH urinaire, la concentration plasmatique de bicarbonate, la calcémie et la kaliémie. En l’absence d’augmentation du pH urinaire 4 à 6 heures après la perfusion de bicarbonates et si des symptômes d’hypocalcémie apparaissent, l’alcalinisation est arrêtée. Plus simplement, une étude récente a montré qu’un remplissage vasculaire par du Ringer Lactate permettait d’obtenir assez facilement une alcalinisation des urines, sans recours aux bicarbonates et sans induire d’acidose métabolique ni d’hyperkaliémie [16]. Ainsi, plus que l’alcalinisation du plasma par l’administration de bicarbonate, c’est bien la correction d’une hypovolémie avec un ou des solutés adaptés qui semble à privilégier pour prévenir la précipitation de la myoglobine urinaire.

Question 3

Doit-on effectuer une diurèse forcée par des diurétiques lors d’une rhabdomyolyse ?

L’objectif consensuel pour la prise en charge de la rhabdomyolyse est d’obtenir une diurèse > 2 à 3 ml/kg/h grâce au remplissage vasculaire. Après s’être assuré d’une volémie suffisante, la clairance rénale de la myoglobine pourrait être améliorée grâce à une diurèse forcée mais son utilisation reste controversée [2]. Cette diurèse peut être obtenue par l’utilisation des diurétiques classiques ou par diurèse osmotique (mannitol).

Au niveau rénal, le mannitol pourrait avoir plusieurs effets bénéfiques : une vasodilatation, une augmentation de la pression tubulaire et une augmentation de la filtration glomérulaire [18]. Le mannitol possède également un pouvoir antioxydant. De par son pouvoir osmotique, il permet également de diminuer la pression au niveau des loges musculaires lésées, et en théorie de diminuer l’œdème musculaire. L’utilisation du mannitol est toutefois controversée. Son utilisation ne semble pas produire des résultats supérieurs à l’expansion volémique seule [12], et son utilisation pourrait même être dangereuse pour le rein en cas d’hypovolémie induite par ses effets diurétiques puissants difficilement contrôlables [19]. La diurèse induite par le mannitol, si elle est utilisée, devra donc être compensée. Les recommandations de 2012 dans la prise en charge des patients victimes d’un crush syndrome ne retiennent pas de preuve de son efficacité [20].

L’emploi des diurétiques de l’anse pourrait être également possible chez les sujets dont la diurèse est insuffisante. Cependant, le furosémide entraîne une acidification des urines potentiellement délétère, une alcalinisation sanguine ainsi qu’une perte calcique urinaire pouvant aggraver l’hypocalcémie préexistante. Les diurétiques de l’anse, en inhibant la réabsorption du sodium, permettent expérimentalement une amélioration de l’oxygénation de la médullaire rénale grâce à une  « mise au repos » de ces structures [21]. Ces effets sont en théorie intéressants afin de réduire le stress ischémique tubulaire. Le bénéfice des diurétiques n’a cependant pas été confirmé par des études cliniques dans la rhabdomyolyse. Les diurétiques doivent être utilisés avec précaution et uniquement après correction d’une hypovolémie [7,17]. Dans le cadre d’une diurèse forcée par diurétiques de l’anse, l’utilisation simultanée d’acétazolamide (Diamox®) permettrait grâce à une élimination urinaire de bicarbonates de respecter les valeurs de pH urinaires recherchées.

L’usage des diurétiques reste donc délicat et son bénéfice clinique est encore à démontrer.

Question 4

Quelle quantité de fluides doit-on administrer lors de la prise en charge initiale d’un patient présentant un crush syndrome ? 

Pour corriger l’hypovolémie majeure présente initialement, la perfusion de large volume de solutés est indispensable en limitant en première intention les apports de solutions contenant des quantité importantes de potassium [20]. Le remplissage vasculaire doit être précoce afin de diminuer les risques de survenue d’une IRA et doit commencer dès la phase pré-hospitalière. Better et al. en 1990 ont proposé un protocole de remplissage vasculaire pour la prise en charge des patients victimes d’un tremblement de terre [13]. Il convient de noter que dans cette publication princeps, le protocole n’a pas été établi à partir de données cliniques, mais de façon empirique sans réelle validation. Dans ce protocole, 1 L de sérum salé isotonique par heure était administré sur place puis après évacuation 2 à 3 L de sérum salé 4,5%+ bicarbonates de sodium 50 mEq pour un objectif de pH urinaire > 6,5. Si une oligurie persistait, les patients recevaient alors 50 mL de mannitol 20%. Des volumes supérieurs à une dizaine de litres par jour (12 L/24h) pendant 48 à 72 heures étaient nécessaires, au prix d’une rétention hydrosodée conséquente. Il semblerait que son application aux victimes de tremblement de terre permette d’éviter l’apparition de l’insuffisance rénale et d’obtenir une survie optimale [22]. Guna et al. ont utilisé ce même protocole chez 16 patients présentant un crush syndrome lors d’un séisme en Turquie. Les victimes recevaient en moyenne 20 L/jour. Cette charge hydrosodée était bien tolérée probablement en raison du jeune âge des patients (âge moyen : 23 ans). De tels volumes de remplissage vasculaire sont cependant à considérer du fait du risque d’aggravation des fréquents syndromes de détresse respiratoire aiguë (SDRA) observés au décours des rhabdomyolyses majeures [23]. L’impact pronostique du SDRA restant plus délétère que celui d’une IRA liée à une rhabdomyolyse, même anurique, susceptible de récupérer après 3 semaines de dialyse. Une attention particulière doit être donnée à la fonction pulmonaire en prenant en compte la balance bénéfice/risque du remplissage. Devant un pH urinaire alcalin (pH > 6) et en l’absence de myoglobinurie à la bandelette, le remplissage vasculaire devra être freiné.

Ainsi nous pouvons proposer, selon les recommandations de 2012 pour les patients victimes d’un crush syndrome [20] : une initiation rapide, la plus précoce possible, d’un remplissage vasculaire par du sérum salé isotonique à un débit initial de 1000 mL/ h. Les patients devront être réévalués toutes les 6 heures et le remplissage devra être individualisé pour chaque patient par un monitorage hémodynamique adapté (échocardiographie par exemple). Il faut alors tenir compte de ses antécédents notamment cardiorespiratoires, son âge et évaluer son état hémodynamique ainsi que sa diurèse. L’objectif est donc une diurèse de 2 à 3 ml/h avec un pH urinaire > 6,5. Le monitorage hémodynamique sera primordial par la suite pour adapter au mieux le remplissage vasculaire avec une surveillance stricte de la fonction pulmonaire. En l’absence de monitorage possible, la quantité de fluide pourra être d’environ 3 à 6 L/24H. 

REFERENCES

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